Ladakh et Zanskar, l'Himalaya en hiver
L'Himalaya en hiver....
4 Ukrainiens (dont 2 ne parlaient pas un mot d'anglais !!!), 1 Australien John, moi, et dans notre équipe locale 20 Zanskarpas : 16 porteurs, 2 guides Tashi et Padma, 1 cook Lobzang, et 1 assistant Tshospeln, pour 18 jours de marche sur les chemins du Ladakh et du Zanskar, dans la neige, ou sur la glace de la Chadar (le fleuve gelé).
Lobzang ("Laughing cook", or "Mister Goat Killer")
Les porteurs :
Séchage de la goncha après une chute
Le Ladakh, le "pays des cols" en tibétain, est une petite enclave de culture tibétaine située aux frontières du Tibet et du Pakistan, isolée au nord de l'Inde, entre la chaîne de l'Himalaya et la vallée de l'Indus.
Un vol d'un peu plus d'une heure depuis Delhi pour rejoindre Leh, la capitale du Ladakh, à 3650 m d'altitude... L'hiver, l'avion reste le seul moyen de gagner Leh depuis Delhi, toutes les routes étant fermées de fin octobre à mai.
Une erreur de l'agence m'a fait arriver un jour après le reste du groupe... j'ai donc raté la journée de repos à Leh et d'acclimatation à l'altitude et suis partie aussitôt visiter quelques monastères autour de Leh (Shey, Tiksey, Hemis)... Sacrée acclimatation : ma jeep patinant trop pour monter la côte menant à Hemis, c'est à pied que j'ai parcouru les derniers kilomètres vers le monastère ! En hiver, une grande sérénité se dégage des monastères, le silence et le calme sont propices aux prières...
En janvier, Leh semblait déserte, la plupart des boutiques, agences de voyage, guest houses étant fermées et leurs propriétaires - pour beaucoup non originaires de la région - partis ailleurs en Inde en vacances ou pour faire un autre boulot. Comme le disent les Ladakhis, l'hiver Leh leur appartient !
Il faut dire, il faut vraiment le vouloir pour passer ces longs mois d'hiver ici... Pas d'eau courante, les canalisations étant gelées. De l'électricité (générateur) quelques heures le matin et le soir. Des communications extrêmement réduites (le réseau des téléphones portables était généralement saturé, et quant à internet, à mon retour à Leh après le trek, cela faisait 12 jours qu'il n'y avait plus de connexion).
L'hiver, au Ladakh, c'est le moment des festivals dans les monastères (en janvier, juste avant de partir pour le trek, on a pu aller voir le festival du monastère de Spituk : danses, costumes traditionnels, masques, musique...), des prières bouddhistes collectives liées à la visite d'un grand lama (un grand maître) qui durent pas mal de jours et de nuits (à mon retour à Leh en février, une grande prière était en cours pour 2 semaines)...
Monastère de Spituk
De Leh, on a pris un bus sur une soixantaine de km pour rejoindre le fleuve Zanskar (appelé "Tchadar" - fleuve gelé - en hiver).
La route entre Leh et Padum que construisent les militaires pour désenclaver ces régions avance bien (malgré les avalanches, les glissements de terrain et compagnie....). Selon les habitants, elle devrait être finie dans une dizaine d'années. Plus besoin alors de marcher sur le fleuve gelé ... (sauf en cas de grosse chutes de neige comme on en a eues, il n'y a pas (encore) de chasse-neige pour rendre la route utilisable !!).
Première nuit sur la route, au-dessus du fleuve
En attendant que la route soit finie, les hauts cols qui relient les villages étant difficilement franchissables en hiver, la Tchadar reste quasiment le seul moyen pour les Zanskarpas de rejoindre Leh (avec les hélicoptères de l'armée, qui est omniprésente à Leh, frontières obligent....). Les villageois ne se déplacent qu'en cas de nécessité (on a surtout vu des enfants qui rentraient dans leurs villages pour les vacances et des jeunes qui partaient pour étudier). Sinon, les hameaux vivent isolés du monde, repliés sur eux-mêmes.
Le trek
Forcément, très peu de touristes en cette saison...
Des paysages absolument superbes : cascades de glace figée et scintillante le long du fleuve, l'éclat des morceaux de glace qui flottent et avancent dans l'eau, dédales de canyons, grands espaces recouverts de neige, maisons avec leurs réserves de bois et leurs drapeaux de prières, chortens (= stupas, petits édifices religieux) qui balisent les chemins ou marquent l'entrée dans les villages qui vivent en semi-autarcie...
Une alternance de jours de neige et de jours où la limpidité de la lumière himalayenne venait renforcer la beauté des paysages sous la neige ou accentuer les couleurs des gorges de la Tchadar (palettes de rouges, ocres, violets, verts sur les roches).
Des populations chaleureuses et souriantes au Zanskar, qui lancent facilement des "djule djule" (bonjour en ladakhi) et toujours prêtes à ouvrir leur maison pour inviter à boire un thé (au beurre salé !), à manger des chapatis (pain-galette), de la tsampa (farine d'orge grillée) ou de la paba (sorte de pâte compacte et très nourrissante faite à partir de la farine d'orge).
Des animaux : les ânes, les chèvres, les moutons et les yacks dans les villages, qui occupent le rez-de-chaussée des maisons...
Sur les pentes, les moutons bleus, et surtout les ibex.
Les léopards des neiges n'étaient pas loin... Une nuit, un chien - notre compagnon de route depuis quelques jours - a aboyé furieusement en plein milieu de la nuit, et au matin nos porteurs ont découvert juste à côté du camp les empreintes du léopard des neiges !
Des monastères bouddhistes perchés sur des collines, où le temps semble figé...
Des nonneries où les religieuses sont gaies et joueuses : elles nous empruntaient les gros gants pour se transformer en "boxing nuns" et faisaient d'autres pitreries !! Pas mal de fous rires !!
Nuits...
Des soirées autour du feu, des ciels étoilés, le grand halo autour de la lune alors qu'elle était presque pleine... La nuit, le murmure de la rivière, parfois le fracas de la glace qui craque... Les nuits, on les a passées sous tente ou dans les grottes pour les porteurs (il faisait plus chaud dans les grottes mais c'était sacrément enfumé), et au Zanskar chez l'habitant. La pièce qui nous était réservée était en général la grande salle chauffée par le poêle, mais à vrai dire une nuit avec les Ukrainiens, ça m'a suffi ! A la chaleur de la pièce commune, j'ai vite préféré la tranquillité des petites pièces annexes, et je me suis retrouvée à dormir soit dans la cuisine avec les filles ladakhies, soit - le plus souvent - dans la chapelle de la maison sous l'oeil de Bouddha et du Dalai Lama.
Météo
Des conditions météo pas vraiment bonnes à l'aller.. Le fleuve n'était plus assez gelé, ce qui nous a obligés à marcher dans l'eau à plusieurs endroits et à faire preuve de prudence (quand le guide dit "one by one, slowly slowly, try to go light" et qu'on entend des craquements sous nos pas, il ne reste plus qu'à espérer que la glace ne va pas céder...). Les 4 Ukrainiens avaient leurs cuissardes de l'armée russe, pour eux pas de problème ! Mais pour moi et John, l'Australien, moins bien chaussés, c'était plus compliqué ! On a dû escalader les parois rocheuses bordant le fleuve, guidés par notre jeune cuisinier. Ca c'était pire que de marcher sur le fleuve. Ca nous a demandé une sacrée attention : pas de faux pas possible, surtout ne pas perdre l'équilibre... ! Et la confiance ... faire confiance à la glace, faire confiance au guide, avoir confiance en cette main qui se tend pour aider à franchir un passage difficile...
A l'aller, nous avons eu aussi énormément de chutes de neige (les Zanskarpas n'en avaient pas vu autant depuis pas mal d'années). Et qui dit chutes de neige dit aussi avalanches... C'était impressionnant de voir et d'entendre la neige partir des sommets et venir se jeter dans le fleuve. Nous avons dû rester une journée sans changer de camp, ce qui nous a donné l'occasion d'aller visiter le joli petit village et le monastère de Nayrak. En revanche, on a manqué de temps pour faire tout le programme et aller jusqu'au grand monastère de Karsha... Mais quand on sait qu'un groupe d'Américains trop téméraires a été surpris par une avalanche et que l'un d'eux y a laissé une main, on se dit que mieux vaut écouter les conseils des locaux...
Avalanches
Au retour en revanche, pas de souci : la Tchadar était complètement gelée. Il restait juste à apprendre à reconnaître la glace, savoir quand on pouvait marcher dessus normalement, quand il fallait utiliser un pas de patineur ou quand il était tout simplement préférable - dans les descentes - de s'asseoir et se laisser glisser (le toboggan, au moins, ça évite les chutes!).
A l'aller, dès le 2e jour de marche, j'ai été vaccinée : les premiers bleus dus aux chocs contre les rochers, la première glissade sur la glace (mais 10 secondes après, mon guide Tashi s'est lui aussi retrouvé assis auprès de moi!), et surtout, la première chute dans l'eau !! Pas drôle du tout, ça, surtout qu'il restait 2 h de marche pour atteindre le campement et que je n'avais pas prévu d'habits de rechange !! Mon guide Padma a voulu m'aider à passer dans l'eau sur quelques mètres et il a mis le pied dans un gros trou, on a tous les 2 perdu l'équilibre et je me suis retrouvée assise dans l'eau glacée ! Voilà, j'ai passé la soirée suivante dans la tente - cuisine à boire du thé et à "essayer" de sécher au réchaud chaussettes, pantalon, gants, tandis que les porteurs dans leur grotte se chargeaient de mes chaussures avec leur petit feu (il fallait que ça arrive pile à l'endroit où le bois est très rare pour faire du feu). Au moins, ces heures passées auprès du réchaud m'ont permis de bien faire connaissance avec ma petite équipe locale. Du coup, par la suite, dans plusieurs villages du Zanskar j'ai été invitée par mes porteurs à aller rendre visite à leur famille...
Populations
J'ai vraiment partagé de bons moments avec les Zanskarpas dans les villages et les hameaux. Les enfants, en vacances, s'étaient fabriqué avec les moyens du bord des sortes de luges ou de skis, les femmes dans les cuisines faisaient du thé au beurre salé, du chang (bière de millet) ou barattaient du beurre. Les personnes âgées faisaient tourner leurs petits moulins à prières en récitant des "Om mani Padme Um"... La vie s'écoule lentement en hiver... L'été, le travail est rude: il faut amasser le bois, les bouses de yacks, travailler dans les champs pour avoir assez de nourriture pour l'hiver. Quand on demande aux gens ce que font les Zanskarpas en hiver, la réponse est toujours : "Drinking chang and making children", c'est devenu comme un dicton ! Mais j'ai pu constater que le chang coule en effet dans les maisons !! Dans le village de Pidmo, j'ai été invitée à une "chang party" : des chants et des danses (sorte de concours entre hommes et femmes), et surtout du chang... Le verre doit toujours être plein : dès qu'une gorgée est bue, la tasse est automatiquement reremplie.
Préparation de la pâte pour les chapatis
Vies de familles
Sur les toits
La chèvre !
Pidmo, au retour, ça a aussi été l'épisode de la chèvre.
Quand les Ukrainiens ont eu fini tout le porc qu'ils avaient amené de leur pays (et ils en avaient une sacrée quantité !!), ils n'ont eu de cesse de réclamer de la viande... mouton ou chèvre, peu importe, mais de la viande!!! L'hiver, les agences de voyage ne prévoient que très peu de viande dans les menus (un peu de poulet en début de trek)...
Qu'est-ce qu'ils en ont passé, du temps, les assistants et le guide pour essayer de trouver quelqu'un qui accepte de vendre une bête! Tous refusaient, les Zanskarpas n'aiment pas vendre leurs animaux en hiver et en général les animaux sont chers, faibles et pas très bien en point... A Pidmo, un villageois a accepté de vendre une chèvre ; avant de la laisser partir il a arraché quelques poils de la tête de la chèvre qu'il a gardés, comme le veut la tradition au Zanskar.
Après avoir déniché l'animal se posait le 2e gros problème : qui allait tuer la bête ????? Tous les membres de l'équipe étaient Zanskarpas, aucun d'eux n'avait tué d'animal et n'avait envie de le faire, car pour eux, bouddhistes, c'est un péché (ils aiment manger de la viande, mais c'est un péché beaucoup plus grave de tuer une bête). Finalement, c'est le cuisinier, le plus jeune de l'équipe, qui a dû s'y frotter et devenir ainsi "Mister goat killer". Que de "Om mani padme um" il a récités pendant qu'il égorgeait la chèvre dans la petite étable située au rez de chaussée ! Et pendant tout le temps qu'a duré le découpage de la chèvre, le plus âgé des porteurs a psalmodié un livre de prières dans la salle commune où étaient rassemblés les Ukrainiens, pour que le péché soit moindre !
Lobzang et Tchospeln, soulagés une fois la chèvre tuée
Le bloc de pierre
Au retour, un autre incident. Alors qu'on avait récupéré le bus pour rentrer à Leh, qu'on venait de s'arrêter au bord d'un ruisseau pour une petite toilette, on s'est retrouvés face à un gros bloc de pierre au milieu de la route ! C'était un dimanche... personne à travailler sur la route, pas de machines pour débloquer le chemin... Comment déplacer ce bloc ? Essayer de le casser au marteau, essayer de le soulever avec le cric des bus, unir les forces de tous les hommes, finalement casser le bitume de la route au piolet pour faire rouler le bloc... Ca semblait impossible... mais au bout de quelques heures, les Zanskarpas ont réussi à faire bouger ce gros bloc de pierre !!! et on a pu rejoindre Leh sans passer une nuit dans la tente sur la route ! L'union fait la force ....
Bref, de ces hauts plateaux ouverts au monde uniquement dans les années 80, de ces hameaux isolés et hors du temps se dégageait en hiver une grande sérénité, une impression de grande authenticité, d'une culture préservée.
Visages croisés ...
Jeux d'enfants
Solitude des massifs.. Chaleur des rencontres, des sourires et des "djulé"...
(Et un "djulé" tout particulier de Norboo a ceux qui ont fait la traversée du Zanskar en 2004 !)